La Dark Romance est née aux États-Unis il y a une quinzaine d’années, sous la plume de jeunes autrices grâce à l’auto-édition numérique. Le succès aidant, elle a rapidement été reprise par des maisons d’édition qui les ont installées durablement dans leurs catalogues. Grâce aux réseaux sociaux, il est devenu un genre littéraire très populaire et très en vogue chez les adolescentes, qui, commencent ces lectures parfois dès l’âge de 12 ans.
La trame classique d’une darkromance, c’est une relation violente dans laquelle l’héroïne est malmenée par un bad boy, souvent un truand affilié à une mafia. Deux personnages qui se détestent vont finir par s’aimer. Le garçon se comporte de façon toxique avec une fille, et la fille va quand même tomber amoureuse. Dans certains de ces récits, les femmes sont souvent sous emprises sexuelles et psychologiques, enlevées, séquestrées, forcées voire violées.
Les titres les plus emblématiques car gros succès commercial sont "Captive" de Sarah Rivens (d’abord publié sur la plateforme Wattpad avec plus de 7 millions de lectrices puis repéré par la maison d’édition Hachette qui signe un contrat avec l’autrice pour éditer la saga) et "365 jours" de Blanka Lipinska.
L’influence des réseaux sociaux
Un aspect essentiel de la dark romance est la prescription littéraire, par la manière dont ces romans circulent au sein de communautés en ligne. Sur TikTok via #BookTok, des milliers de vidéos les recommandent, on partage des extraits et des analyses émotionnelles des personnages. Les lectrices deviennent donc prescriptrices, échangeant entre elles dans un espace où l’émotion prime souvent sur la critique littéraire.
Cet espace communautaire crée un endroit où les romans sont discutés en dehors des circuits critiques traditionnels, les jeunes lectrices se réapproprient les récits, les partagent et créent un réseau d’influence, propulsant des titres qui n’auraient jamais connu un tel succès sans les réseaux sociaux. Cette viralité explique en grande partie pourquoi des titres comme "Captive" ont été lus par des millions de personnes avant même leur publication officielle. Les biais cognitifs de TikTok peuvent influencer des jeunes lectrices vers la dark romance sans qu’elles sachent exactement ce que ça raconte ! Tout le monde en lit je veux donc en lire ! L’hashtag booktok a généré 180 milliards de vues en 2023 et 200 milliards en 2024 ! Sur 2001 personnes interrogés âgées en 16 et 25 ans : 59% lisent des livres influencés par booktok ; 68% ont lu 1 livre qu’ils n’auraient jamais eu entre les mains sans booktok.
Un genre controversé et critiqué pour l’image ambigüe qu’il véhicule des relations amoureuses et par un engouement chez de nombreuses jeunes lectrices. Certains pensent que cette littérature franchit l’interdit et glamourise les relations toxiques et banalisent le viol auprès d’un jeune lectorat qui n’a pas la maturité suffisante pour faire la part des choses (ex. La journaliste et l’auteure Camille Emmanuelle) et d’autres estiment que le genre entretient une fonction cathartique qui permet de libérer les lectrices de leurs angoisses grâce à la fiction et préconisent donc de laisser les jeunes filles lire ce qu’elles veulent et ce n’est pas parce qu’elles lisent des romans avec des histoires d’amour de soumission et de dominations physiques et/ou psychologiques qu’elles souhaitent vivre la même chose dans leur propre vie.
Pourquoi autant d’engouement vers ce genre? Surtout chez les adolescentes ?
Magalie Bigey (maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Franche-Comté et qui a mené une enquête sur plusieurs années pour interroger le lectorat des romanceS) explique les motivations pour lire ce genre à l'ère de #MeToo et du consentement.
• Répond à des besoins émotionnels, produit des émotions fortes (histoires sulfureuses, ascenseur émotionnel, fantasmes liés à l’interdit). C’est l’affect le moteur de la darkromance.
• Le rôle des réseaux sociaux fonctionne sur l’émotionnel sans arrêt (ex. Défis TikTok) et donnent du trop plein d’émotions auxquels les jeunes filles sont habituées, d’où le succès aussi de la darkromance.
• Exploration des zones grises de l’amour et du désir au travers de relations interdites et dangereuses dans un cadre fictionnel. Comme les films d’horreur, la lecture provoque de la peur, du suspense, mais lorsque le livre est fermé, tout s’arrête, on est dans un cadre sécurisé.
• D'après une enquête menée en 2024 auprès de lycéennes, les jeunes filles font preuve d’un réel recul face aux rapports de domination et de violence présents dans les romans et expliquent aussi qu’elles ne veulent pas vivre la même chose dans la vraie vie, elles savent mettre de la distance, elles ont grandi avec le mouvement Metoo et donc avec la notion de consentement.
• Parmi les jeunes filles qui lisent de la dark romance certaines sont des lectrices angoissées, réservées, pas toujours bien dans leur peau, parfois victime de harcèlement et la dark romance est un miroir aux angoisses contemporaines, permet une évasion émotionnelle dans un cadre sécurisé.
• Les romans offrent une forme de réconfort face à l’incertitude des relations humaines dans le monde réel : l’héroïne finit par “guérir” son bourreau, ou par prendre le contrôle de la relation (ex. Dans Captive entre le tome 1 et le tome 2, les relations entre les personnages sont complètement renversées et certaines lectrices voient ce roman comme une histoire de libération d’une femme sur son passé difficile). Cette idée de rédemption, malgré la violence initiale, redonne une forme de maîtrise aux lectrices, qui voient dans ces contenus un espace d’explorations des relations interpersonnelles complexes sans accepter pour autant ces comportements dans leur propre vie.
• La darkromance est un terrain de jeu émotionnel où les adolescentes peuvent exprimer des désirs, des frustrations et des fantasmes, tout en sachant qu’il s’agit de fiction. Il ne s’agit donc pas de savoir si ces jeunes lectrices doivent ou non lire des darkromances, mais de s’assurer qu’elles le font dans un cadre où elles peuvent en parler et comprendre ce qu’elles explorent à travers ces lectures. Dans certaines familles les mères et les filles partagent leurs lectures, échangent, discutent de ces sujets. Dès que la parole circule, la lecture devient un espace critique et réfléchi.
• La darkromance et sa lecture, en tant que phénomène de société, ne devraient pas être diabolisées mais accompagnées. La question de sa réception par de très jeunes lectrices (moins de 14 ans) soulèvent des questions légitimes. Plutôt que de condamner cette lecture, il semble plus productif de l’accompagner, d’en discuter, de créer des lieux de partage et de réflexions.
Dans le numéro spécial de la revue Lecture Jeune consacré à la dark romance intitulé « L’économie du désir : de ≠MeToo à la Dark Romance » (n°194 – juin 2025), Vanessa Moreau (professeur de lettres modernes au collège d’Edgar Quinet) explique qu’il existe plusieurs niveaux dans la dark romance :
• Les dark romances « soft » : la relation entre les personnages évolue sainement dans un univers sombre et vilent (gangs ou mafia).
• Les dark romances « médium » : l’univers s’assombrit davantage (scènes de torture) et où la relation amoureuse est plus chaotique.
• Les dark romances « hard » : outrageusement transgressives et subversives où le consentement est douteux.
Les trigger warnings (ou avertissements)
La pratique consiste à avertir (to warn) le lecteur de l’existence de passages contenant des actions ou propos pouvant déclencher (to trigger) une souffrance émotionnelle et réactiver un possible traumatisme. Citons les coupables les plus évidents : les descriptions de violences physiques ou verbales (agressions, viols, racisme, homophobie, etc…) et les représentations de troubles psychologiques (troubles alimentaires, dépression, tendances suicidaires, etc.…).
Sur le papier, on se dit que ces Trigger Warning sont plutôt une bonne invention. Que c’est un outil préventif, et qu’il permet d’éviter aux plus jeunes de tomber sur des contenus difficiles.
Mais on s’interroge également sur leur réelle efficacité ? Démarche marketing ? Est-ce que ça n’incite pas, au contraire, des jeunes lectrices à aller vers des livres où les TW sont les plus durs ?
Pour guider le choix des lectures adolescentes, les éditeurs commencent à mettre en place des indicateurs pour prévenir du contenu.
Chez Hugo Publishing sur le titre “Borderline” est apposée et clairement identifiée en couverture la mention “Ce livre est une dark romance destiné à un public averti”.
De même le roman de Morgane Moncomble “un automne pour te pardonner” contient un avertissement en ouverture : “ Ce roman contient des scènes, des propos ou des sujets pouvant heurter la sensibilité de certaines personnes. S’il vous plaît, prenez garde au trigger warning* qui suit avant de vous aventurer dans cette lecture. Je tiens également à rappeler qu’il s’agit d’une œuvre de fiction ; avec des personnages imparfaits, des relations pas toujours saines et des comportements parfois inexcusables. L’autrice et la personne que je suis ne cautionne en rien les actes de ses personnages. *TW : harcèlement psychologique, bizutage. »
Voici une sélection de dark romances