En 1953, Le Livre de poche a démocratisé la lecture en proposant le lancement de livres en petit format (qui tient dans la poche), à petit prix ( 2 francs) et 70 ans plus tard ce sont plus d'un 1,2 milliard d'exemplaires vendus.
Malgré la réticence d'une élite voyant d'un mauvais œil cette démocratisation de la lecture et l'accès à tous à la littérature, notamment celle de Jean-Paul Sartre et de ce charmant jeune homme
L'engouement du public a été spectaculaire : 8 millions d'exemplaires de livres de poche vendus en 1957-58 et les ventes ont largement dépassé les 28 millions en 1969, soutenus par des auteurs prestigieux comme Jean Giono qui qualifia le Livre de poche de " plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne" ou même Jean Cocteau qui pensait que "tout livre devrait être un Livre de poche " .
Nous devons cette petite révolution culturelle à Henri Filipacchi alors secrétaire général de la librairie Hachette qui souhaitait réformer l'image des livres en petit format qui existaient chez Fayard et Tallandier, de facture et de qualité médiocres : les petits romans de gare de l'époque.
Ce visionnaire, riche de son savoir-faire en matière d'impression et de diffusion de la presse à grande échelle, va offrir au plus grand nombre l'accès à toute la littérature, en créant une collection éclectique prête à être vendue partout dans les premiers supermarchés, les stations service...
Le format "poche" permettait aussi de changer l'image même de l'activité de lecture, permettant à tous de lire partout, une lecture nomade en quelque sorte, dans les transports en commun, sur les plages...
Les grands éditeurs du moment (Gallimard, Grasset, Calmann-Lévy, Albin Michel..) se sont associés à l'enthousiasme de Henri Filipacchi lui cédant les droits d'œuvres emblématiques de leurs catalogues, notamment pour le premier numéro de la collection, un livre de Pierre Benoit "Koenigsmark", puis viennent "L'Ingénue libertine" de Colette, "Pour qui sonne le glas" d'Ernest Hemingway...
Cette offre de livres de qualité à bas coût et au format pratique va jouer un grand rôle dans l'émancipation culturelle de l'après-guerre, notamment celle des femmes, et les jeunes vont vite plébisciter ce format nomade.
Dès 1950, " Un amour de Swann" de Marcel Proust va se vendre à 500 000 exemplaires, devenant ainsi le premier best-seller de tous les temps. Puis "Vipère au poing" d'Hervé Bazin et "Le Grand Meaulnes" d'Alain-Fournier trouveront leurs 5 millions de lecteurs, Le "Journal" d'Anne Frank et "Germinal " de Zola se vendront quant à eux à 4 millions d'exemplaires.
De nos jours se sont plutôt les romans de Guillaume Musso les plus vendus et Valérie Perrin avec son best-seller aux 325 000 exemplaires "Trois".
Fort de cette réussite, Henri Filipacchi va obtenir, en 1960, de son ami Georges Simenon le droit de publier "Le Chien jaune", inaugurant ainsi une nouvelle collection de livres policiers, bientôt abondée par les romans d'Agatha Christie et de Maurice Leblanc.
Ce véritable succès va faire des émules. Bientôt, en 1962, les éditions Pocket et 10/8 créent leur propre collection de livres au format poche et en 1972, ce sont les prestigieuses éditions Gallimard qui se lancent avec la collection Folio. Suivront J'ai Lu et la collection Points chez Seuil.
De nouveaux éditeurs se lancent dans le livre de poche, souhaitant réduire les coûts et s'adresser à un public plus large : les éditions Asphalte, Dunod, Gallmeister....
Malgré un véritable succès, le Livre de poche s'est diversifié en proposant des inédits dans les domaines des sciences, des arts, de la vie pratique.. et, pour surfer sur la vague du numérique, plus de 700 titres sont disponibles en version numérique.
S'adressant à tous les publics, les éditions au format de poche ont permis à de nombreuses générations d'élèves d'étudier les œuvres classiques et offrent à tous les best-sellers français ou étrangers (Pierre Lemaître, Delphine de Vigan, Ken Follett ...)..
Le Livre de poche reste, à l'heure actuelle, le premier éditeur de livres en format de poche avec son milliard d'exemplaires vendus, ses 25 000 titres publiés et ses 400 nouveautés par an.
Mais, qu'est-ce vraiment que le métier d’éditeur de livres de poche ?
Les Missions d'un éditeur de livres de poche sont d'une part d'acheter des nouveautés pour constituer un catalogue et d'autre part de faire vivre le catalogue avec des livres de fonds restant disponibles le plus longtemps possible, à faire découvrir de générations en générations.Afin de renouveler son catalogue pour le rendre sans cesse attractif, l'éditeur doit acquérir les droits pour des nouveautés.
C'est une spécificité du marché français : chaque groupe éditorial a son éditeur de livres de poche (voir planisphère de l’édition française de LH)
En amont de sa publication en grand format, 6 mois avant, l’éditeur doit décider de sa publication en livre de poche ou non.
Si l’éditeur de poche refuse un titre du groupe éditorial, les autres éditeurs reçoivent le livre en grand format pour achat ou non.
Les éditeurs de livres de poche reçoivent beaucoup de titres donc ils travaillent avec des lecteurs qui font un job de “défrichage” en amont, puis un comité de lecture hebdomadaire discute des livres.
Mais ce n’est pas une science exacte, c’est assez aléatoire : le livre est un tel engagement émotionnel propre à chacun !
Les livres de poche sont publiés 12 mois en moyenne après le grand format, voire 18 mois pour ceux de certains éditeurs indépendants qui ont besoin de développer les ventes de grands formats et sauf Gallimard qui, 2 ans après la parution dans la prestigieuse collection Blanche, à gros tirages, décide du passage dans sa collection de poche Folio.
Quelquefois, l’édition en grand format n’ayant pas eu le succès escompté, l’édition en poche est presque un inédit.
Il faut donc que les éditeurs de poche se positionnent en amont de la parution du livre, c’est un véritable pari !
En ce qui concerne les éditeurs indépendants des grands groupes, il y a mise sur le marché des titres, et, aux enchères, la meilleure offre financière l’emporte.
Ils doivent aussi justifier d’un plan d’accompagnement promotionnel et d’un engagement à mettre un titre particulier en avant.
L’essentiel des ventes de livres en grand format se fait entre 6 et 9 mois à partir de leur parution (le turn-over sur les tables des libraires est très rapide).
La publication en livre de poche est un moyen de réactiver l’attention sur un titre d'un auteur encore dans leur catalogue.
L’éditeur de livres de poche essaie de caler l’édition d’un poche avec la parution d’une nouveauté en grand format du même auteur.
Il existe une spécificité pour la littérature étrangère : la lecture est encore plus en amont car les éditeurs étrangers ont encore plus besoin du soutien de l’éditeur avec un accompagnement ciblé plus cher car les frais de traduction se rajoutent.
Chaque éditeur dispose d'un service de correction.
Tout y est relu et recorrigé (coquilles), on ajoute une préface, notamment pour la non-fiction.
A titre d'exemple, les éditions 10/18 publient chaque année 25 inédits par an, dans leur collection de romans policiers notamment.
Pour les romans historiques policiers, cela demande un énorme travail de recherche.
Les éditeurs font aussi un gros travail sur les couvertures des livres au format poche. Reprise ou non de celle du grand format : il n’y a pas de règle.
Si le livre a bien marché et si la couverture a été très remarquée, aucune raison d’en changer car les libraires et les lecteurs feront ainsi le lien.
Si le livre n’a pas marché, on change la couverture : c'est le rechartage ou recouverturage : par exemple il y a eu 18 rechartages différents pour un livre de Marc Levy, afin de toucher un lectorat plus jeune car les couvertures vieillissent vite.
Il faut trouver des couvertures qui ne reflètent pas trop une époque.
Le changement de couverture est une vraie demande des libraires, s’y ajoute souvent une préface.
On ne sait jamais si un livre “fonctionne” grâce à sa couverture ou non, les éditeurs essaient d’appuyer pour vendre le livre au mieux. Ils présentent les nouveaux titres à des commerciaux qui vont eux-mêmes les présenter aux libraires.
L’essentiel est de trouver des leviers, des évènements pour faire revivre des titres, charge à l'éditeur de trouver des nouvelles manières de communiquer sur le fonds.
Des réunions commerciales en librairies sont organisées pour animer le fonds autour de thématiques : les road-trips, Les femmes dans l’histoire...où les libraires peuvent proposer des nouveautés en grand format et des livres de poche.
Par exemple on peut remettre au goût du jour certains romans du terroir en proposant aux clients une cartographie des auteurs régionaux, ou créer des évènements autour des romans policiers (“café polar”), des soirées de lancement, des rencontres public-auteur ou public-éditeur.
Coller à l’actualité cinématographique, en ressortant les livres adaptés sur grand écran (Dune, Jim Harrison avec le film documentaire de François Busnel...) ou aux nouveautés proposées par les plateformes (nombreuses séries adaptées de romans policiers d’Harlan Coben ou la série des Chroniques de Bridgerton sur Netflix).
Un fonds éditorial évolue : certains auteurs ou titres ne sont plus au catalogue car l’acquisition des droits en livre de poche se fait pour 5 à 7 ans.
Seuls les “rentables” sont gardés.
Parfois, c’est l’éditeur des Grands formats qui reste détenteur des droits premiers et qui reprend des titres parus précédemment en poche.
A la Médiathèque Départementale, la fragilité des livres de poche nous fait souvent préférer l'achat d'œuvres en grand format plus solides et à la typographie plus lisible, même si elles sont plus onéreuses, mais, à l'heure actuelle, certains classique de la littérature ne sont disponibles qu'au format poche (ou en numérique).
En cette période de restriction budgétaire des ménages, on peut être sûr que le livre au format de poche a encore de belles années devant lui !
Pour en savoir plus :https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/livres-en-poche/poche-a-60-ans-6789431