Jim Harrison, immense écrivain américain né en 1937 dans le Michigan est mort le 26 mars 2016 à l'âge de 78 ans dans l'Arizona, à son bureau, en pleine écriture d'un dernier poème.
Après avoir réalisé un "carnet de route" sur l'écrivain, François Busnel, lui consacre un superbe documentaire, sorti récemment : " Seule la terre est éternelle", co-réalisé avec Adrien Soland.
François Busnel y rend hommage à l'écrivain attachant, devenu, au fil des ans, son ami .
On l'y retrouve dans le Montana, dans sa demeure de Paradise Valley, en 2015, quelques mois avant sa mort.
Son visage de vieux clochard borgne, de vieux sage aussi, amoureux de la vie et de ses excès, donné à voir en gros plans, nous dit tout de cet homme fragile, mourant mais aussi malicieux.
Ce qui est très touchant dans ce documentaire, c'est l'émotion palpable que ressent Busnel à filmer cet immense auteur, un film comme un testament drôle d 'un homme qui se sait à la fin de sa vie : la place faite aux silences, les gros plans sur ce visage témoin de toute une vie, sillonné d'autant de rides qu'un vieux paysage, le tremblement des mains, la voix rocailleuse de "Big Jim".
J'en suis ressortie bouleversée et, du coup, je me suis mise à relire Dalva, puis En route vers l'ouest, puis Légendes d'automne, afin de m'immerger dans l'univers de cet écrivain atypique, poète, amoureux de la nature et des grands espaces, descendant de William Thoreau, précurseur du courant littéraire appelé " Nature writing".
Et on retrouve dans ces livres, le même émerveillement de l'auteur devant les paysages américains, les rivières, les déserts... " Le Paysage peut emporter tous les chagrins" disait-il.
Et il en sait quelque chose, lui qui naît en 1937 dans le Michigan où il grandit dans une famille de fermiers aimante. Au cours d'un jeu qui tourne mal, il perd un œil et se battra toute son enfance contre les quolibets de ses camarades et s'isolera très tôt.
A 20 ans, il perd son père et sa sœur dans un accident. Plus tard, une chute d'une falaise lui laissera le dos douloureux à vie... Il a connu aussi la solitude, l'alcoolisme et la dépression.
D'abord ouvrier agricole, il décide de devenir écrivain dès ses 16 ans et, contre toute attente, son père lui offre sa première machine à écrire.
Dès son adolescence, sur les traces de Jack Kerouac dont la rencontre a été déterminante, il sillonne les Etats-Unis du Nord au Sud.
Il enseigna la littérature à l'Université de New-York qu'il quitta pour fuir la ville et retrouver le Michigan avec sa femme Linda et ses deux filles. Il y fera des petits boulots, des chroniques journalistes, peindra, en parallèle à son métier d'écrivain.
Son premier roman autobiographique intitulé "Wolf : Mémoires fictifs" paraît en 1971 est salué par la critique mais c'est grâce au coup de pouce de Jack Nicholson qui finança l'écriture de "Légendes d'automne" ( écrit en 9 jours !) et à son adaptation cinématographique, en 1994 par Edward Zwick, avec Brad Pitt et Anthony Hopkins, qu'il touche un pactole lui permettant enfin de se consacrer entièrement à ses écrits.
Malheureusement ses vieux démons le rattrapent et il retombe dans des excès de drogues et d'alcools. Lui qui est persuadé qu'il mourra jeune, brûle la vie par tous les bouts...
Ces héros sont souvent à son image : solitaires, bougons, grandes gueules, " gargantuesques ", ayant un gros penchant pour la bonne chère, les boissons et les femmes, fuyant leurs démons et la civilisation pour une vie sauvage rythmée par la pêche, la chasse et les bivouacs improvisés, comme le marchand d'art de "Nageur de rivière" ou le professeur de " Dolorosa beige".
Ses personnages récurrents, comme des doubles de l'auteur, n'aspirent qu'à jouir de la vie : comme Chien Brun, d'origine amérindienne, et ses "aventures rocambolesques" dans "En route vers l 'ouest", "Jeux de la nuit" ou "l'Eté où j'ai failli mourir" ou l'inspecteur retraité Sunderson, dans "Grand maître" ou "Péchés Capitaux", tous deux très portés sur l'alcool et obsédés par les femmes.
Ses écrits sont dans la veine de ses maitres : William Thoreau, Ernest Hemingway ,William Faulkner, James Joyce, Fedor Dostoievski, Henry Miller...
Grand romantique, il est influencé par les poètes qui l' accompagnent dans ses road-trips et ses périples de chasse et de pêche : Arthur Rimbaud, Guillaume Apollinaire, William Blake, Federico Garcia Lorca, Lord Byron, John Keats...
Ses amis ( de beuverie aussi !) sont des grands de la littérature américaine qui influenceront sa manière d'écrire et d'appréhender le monde : James Crumley, Richard Brautigan, Thomas McGuane, Dan O'Brien...(excusez du peu ! ). Ils louent tous sa générosité, son écoute.
Dans son œuvre transpire son appétit de la vie et son respect de la nature.
Pour le grand claustrophobe qu'il est, la traversée des grands espaces et des Etats-Unis en voiture est un leitmotiv dans son œuvre, comme dans "Une Odyssée américaine". L'immensité des paysages est alors gage de liberté et de tous les possibles.
Mais ce serait réducteur de le penser seulement en peintre des grands espaces.
Il nous interroge aussi sur la folie des hommes, la vengeance, la détresse, la nostalgie, l'oppression des peuples indiens, l'Amérique des marges...
Toujours du côté des vaincus, il a choisi sa place dans l'Histoire, et dit sa honte pour toute l'Amérique de la façon dont on a traité les Indiens.
C'est la dimension mythologique de la culture indienne qui l'intéresse et il la partage avec ses amis Sherman Alexie, Louise Erdrich et Jim Fergus.
C'est aussi l'écrivain de l'amour, de la passion et il n'a pas son pareil pour écrire sur les femmes.
Cet amoureux de la nature, de la vie écrivait, invariablement 3 heures par jour, tous les jours jusqu'à sa mort.
Il nous laisse 14 romans, une dizaine de recueils de poèmes, des récits autobiographiques, des critiques culinaires "Aventures d'un gourmand vagabond", des livres pour enfants aussi.
Reprenons ensemble le cheminement de mes (re)lectures, en commençant par Dalva,
Paru en 1987, Dalva est avant tout un grand portrait de femme libre, à la recherche de l'enfant qu'elle a abandonné. Mais c'est aussi une grand fresque familiale et une histoire de cette Amérique de la fin du 19ème siècle, de l'oppression des Sioux. Tout y est, l'amour, les grands espaces, la quête d'identité, la souffrance et la mort : c'est mélancolique, sensible et bouleversant, un vrai chef d'œuvre !
On retrouvera les personnages de Dalva dans "De Marquette à Vera Cruz".
Poursuivant aves les nouvelles de légendes d'automne.
Un recueil de 3 novellas (nouvelles plus étoffées) dont le fil conducteur est la vengeance et la violence d'hommes trahis.
Paru en 1978, c'est le livre qui fit connaître Jim Harrison en France, pays où il est d'ailleurs beaucoup plus apprécié que dans son Amérique natale. Ce sont les éditions Christian Bourgois et le traducteur Dominique Bourgois qui le font découvrir en France.
On doit les dernières traductions à Brice Matthieussent.
Dans la 1ère nouvelle " Une terrible histoire de vengeance" , c'est le combat de deux hommes qui aiment la même femme.
La deuxième nouvelle ,"l'Homme qui abandonna son nom", se passe à la ville où un homme, dans la quarantaine, danse, en pleine crise existentielle.
C'est la dernière nouvelle qui est, pour moi, la plus bouleversante, véritable fresque familiale : le père William Ludlow, vieux colonel, envoie ses 3 fils en Europe pour participer à la guerre. Samuel, le plus jeune frère n'en reviendra pas et Tristan, son frère, fou de douleur, sera prêt à tout pour le venger.
La même plume âcre, au scalpel, sans fioriture, comme les paysages rudes parcourus par ses protagonistes, est au service de ces 3 histoires où la violence côtoie la poésie.
Pour finir avec son dernier ouvrage publié de son vivant "le Vieux saltimbanque", récit autobiographique, écrit à la troisième personne, comme pour prendre un peu ses distances avec sa vie : il y raconte son enfance, la découverte de l'amour, son attachement à la nature puis ses addictions aux paradis artificiels, au sexe aussi.
Mais on se demande aussi si Big Jim ne nous "ballade pas " : ces différentes autobiographies ne seraient peut-être qu'un prétexte à alimenter sa légende ou tout simplement à nous raconter des histoires : "je ne suis pas certain d'être particulièrement apte à dire la vérité", écrit-il.
Dans "En marge : mémoires", il semble toutefois plus apaisé, plus mélancolique aussi, dans un hommage à la littérature. Il souhaite, par ce livre, contrebalancer "la légende Jim Harrison" : " Je racontais volontiers ma vie mais les pisse-copies ne regardaient que ce qui, à mes yeux, relevait du sensationnalisme....on a fait de moi un aimable grizzly alors que je suis vulnérable, fragile et terrifié " .
Philosophe, il souhaitait, en guise d'épitaphe : " Il a rempli sa tâche : nous ouvrir au monde, nous émerveiller, nous questionner sans cesse, sans jamais donner de réponse".
N'hésitez donc pas à embarquer avec ce trublion, pour un grand voyage en littérature. Ses héros vous suivront longtemps, c'est cela le gage d'une vraie écriture !
Pour en savoir plus : lien émission Ca peut pas faire de mal Jim Harrison
Valérie