Je paraphrase le titre d'un article paru dans Livres Hebdo en 2015 mais la gratuité des inscriptions des bibliothèques reste un sujet d’actualité, véritable "serpent de mer " des bibliothèques !
Pas une formation aux aspirants bibliothécaires où la question ne fasse débat.
Et avec le choix récent de la Métropole de Nantes, c'est l'occasion d'en parler de nouveau !
Dans de nombreux pays, la gratuité des bibliothèques est une règle, notamment chez les Anglo-saxons, ou au nord de l'Europe mais en France seules 20 % des bibliothèques prêtent gratuitement des documents.
Même si toutes les bibliothèques publiques offrent en partie des services gratuits : accès aux locaux, consultation sur place, accueil des classes, gratuité pour certains publics (demandeurs d'emploi, étudiants, enfants et /ou adolescents...) ou gratuité pour les habitants de la commune (financement de la bibliothèque via leurs impôts), enseignants, assistantes maternelles ...
Ces tarifications diverses font émerger des " stratégies de contournement", des "usagers invisibles " c'est-à-dire ceux qui utilisent la carte gratuite de leur enfant par exemple.
Les professionnels s'entendent sur une moyenne de 30% de lecteurs payant un abonnement.
Et, à l'inverse, certaines bibliothèques à inscription gratuite font payer des services (photocopies, pénalités de retard, prêt gratuit pour les livres mais payant pour l'emprunt de DVD ou les ressources numériques ...) .
L'absence d'une véritable loi sur les bibliothèques, tant attendue par les professionnels, nous pénalise aussi sur le sujet, comme sur le fait que rien n'oblige une collectivité à se doter d'une bibliothèque, si ce n'est les départements et leurs bibliothèques départementales .
En France, ce sont les élus municipaux qui décident de la gratuité ou non des bibliothèques pour les usagers : ce sont donc eux qu'il faut convaincre, auprès d'eux qu'il faut argumenter.
Farouchement convaincue que l'accès à la culture et donc à la lecture doit être gratuit, comme nous le rappelle le manifeste de l’Unesco, un des rares textes définissant les missions et le fonctionnement des bibliothèques publiques, en l'absence d'une loi très attendue sur les bibliothèques (autre serpent de mer ?) " en principe, la bibliothèque publique doit être gratuite ".
J'ai donc mené une petite enquête, lisant beaucoup sur le sujet, afin de trouver les arguments (et les contre-arguments) pour m'apercevoir que de nombreuses communes ou communautés de communes, de tailles diverses, ont choisi l’inscription gratuite à leur bibliothèque : de Bordeaux et sa communauté urbaine à Guéret en passant par Grenoble, Orléans, Limoges, Arles, Nice, Montpellier, Dijon, Metz, Besançon, Tulle....et bien sûr aussi en Charente-maritime.
En dégageant les éléments déclencheurs du passage à la gratuité, les objectifs de cette gratuité, son intégration à une politique d’établissement, les conséquences financières d'une telle décision et enfin l'importance d'une communication.
- Les éléments déclencheurs :
C'est souvent, dans le cas d'une intercommunalité, le besoin de connecter plusieurs bibliothèques ensemble (mise en réseau, circulation des documents et des lecteurs), avec des pratiques et des tarifications différentes (Limoges, Bordeaux ...)
Ce peut être aussi le besoin de mettre en avant un service public de qualité, accessible à tous (aspect social).
La constatation de la baisse de la fréquentation et de l'utilisation de la bibliothèque (Grenoble par exemple).
2. Les Objectifs :
La gratuité pour tous a pour premier objectif, bien entendu, d'augmenter le nombre d'inscriptions à la bibliothèque, de la faire connaître, d'en accroître sa fréquentation.
C'est aussi un symbole politique fort : symbole d'égalité de l'accès à la culture, au savoir, aux loisirs pour tous, quels que soient les revenus ou le milieu social des usagers.
Changer l'image de la bibliothèque aussi, à laquelle colle encore trop souvent une image scolaire.
3. L’intégration à une politique d'établissement :
Le sujet de la tarification s'inscrit très souvent dans une réflexion plus globale sur la politique de l 'établissement (Montpellier, Grenoble, Bordeaux...) intégrant aussi l'élargissement et l'adaptation des horaires d'ouverture, le réaménagement plus attractif des espaces (plus adaptés aux jeunes et aux jeunes adultes, public qui fréquente souvent peu les bibliothèques), leur signalétique, la mise en place de services en ligne, la possibilité de retourner les documents dans une autre bibliothèque du réseau....
4. La communication autour du passage à la gratuité est indispensable.
Il faut aussi anticiper ce passage à la gratuité, progressif et annoncé longtemps à l'avance.
Une véritable campagne de communication doit être mise en œuvre : affiches , flyers, presse, bulletins municipaux, tout est bon !
Passons donc au plus important : Les ARGUMENTS
- le premier est la crainte des élus mais aussi de certains professionnels : le moindre respect des locaux et des documents si la bibliothèque est gratuite, comme si le paiement responsabilisait l'usager.
La responsabilisation des lecteurs ne passerait-elle que par une cotisation ?
C'est un faux argument : ce n'est pas parce qu'on paye pour un service que celui-ci est plus respecté : qu'en serait-il des services gratuits que des tas de bénévoles rendent à la population ? Ainsi que des espaces publics gratuits comme les jardins publics par exemple : sont-ils plus dégradés parce que d’accès gratuit ? Comme si ce qui est gratuit dans notre société équivalait à quelque chose qui n'aurait pas de valeur ...Lorsqu'un musée ouvre gratuitement ses portes de façon exceptionnelle (Journées du patrimoine ) ou régulière (par exemple le 1er dimanche du mois pour les musées nationaux parisiens ) cela n'enlève rien à la valeur de ses collections et au respect de celles-ci.
Aucune statistique ne permet de dire que les bibliothèques qui optent pour la gratuité voient leurs locaux ou leurs documents plus dégradés.
- la gratuité, c'est une rentrée d'argent (les inscriptions payantes) en moins.
Les adhésions ne doivent pas être une source de financement de la bibliothèque, avec le risque d'un moindre budget de fonctionnement alloué par les municipalités (encore que certaines municipalités ne reversent même pas ces recettes !).
Interrogeons-nous là sur les frais générés par le traitement de ces inscriptions : le traitement humain de ces recettes et d'une trésorerie sont loin d'être négligeables.
À Bordeaux, une enquête a été réalisée sur les coûts des inscriptions : les frais générés par la gestion des inscriptions se portaient aux 2/3 des recettes, sans compter le temps passé par les bibliothécaires à encaisser ses inscriptions.
- D'accord pour la gratuité pour les enfants : bien sûr c'est une mesure incitative mais on observe un "décrochage" de la fréquentation de ces enfants vers 16-18 ans et des jeunes adultes aussi, la tarification est un frein à la fidélisation des usagers.
- La gratuité pour les plus pauvres : il est toujours gênant de demander des justificatifs aux demandeurs d'emploi lors de l'inscription, cela peut aller à l'encontre d'un accueil chaleureux, du désir de revenir. Quand on opte pour la gratuité, le moment de l’inscription est alors recentré sur la présentation des missions, des collections, des services proposés, de la visite de la bibliothèque....
La tarification est un véritable frein financier.
- la gratuité seulement pour les habitants de la commune : on observe souvent l'augmentation des tarifs ou une tarification pour les personnes ne résidant pas dans la commune ; or, ces non-résidants travaillent peut-être dans la commune ou y font leurs courses : ils participent donc à l'économie locale.
- la gratuité mais pas pour tous les documents : tarification différentes selon les différent supports : tarif de base pour emprunter des livres, plus cher pour les CD, plus cher encore pour les DVD. C'est une aberration : la médiathèque est un lieu d'accès à tous les supports culturels, sans hiérarchisation de support ! De plus, c'est particulièrement complexe .
- 15 € (la moyenne d'une carte de bibliothèque en France) c'est pas cher :
pour certaines familles, ce n'est pas anodin.
En regardant certaines retombées de la gratuité, on en est persuadé :
le réseau des bibliothèques de Bordeaux a enregistré plus de 50 % de nouveaux inscrits (3000 inscrits supplémentaires les 3 premiers mois) dont une part importante prenant une carte pour la première fois (1/4 des nouveaux inscrits sont employés, 1/5 demandeurs d'emploi, 1/5 cadres). Sur le réseau Lillois, il y a eu 7000 inscriptions suite au passage à la gratuité. Besançon est passée de 13500 inscrits à plus de 18 00 ; à Nice et à Limoges, le nombre d'inscrits a fortement augmenté également....
En conclusion :
Toutes les bibliothèques notent un bond du nombre d'inscriptions l'année du passage à la gratuité puis une stabilisation les années suivantes.
Cependant la gratuité seule ne suffit pas pour fidéliser les usagers. Ce n'est pas une solution miracle face à la baisse de fréquentation des équipements.
La gratuité est un signal fort d'une municipalité qui considère ainsi la bibliothèque comme un service de base de la société, un lieu de lien social indispensable, bref ce fameux "troisième lieu".
La gratuité assumée par les élus doit s'inscrire dans une véritable politique culturelle : une bibliothèque aux horaires d'ouverture adaptés à la population, un personnel suffisant et qualifié, des locaux attrayants, un budget à la hauteur des besoins afin d'offrir un service de qualité.
Jamais les droits d'inscription ne couvrent les dépenses liées à une bibliothèque, la bibliothèque a un coût de fonctionnement, payé par les impôts.
L'absence de tarification ne veut pas dire que la bibliothèque est gratuite pour une commune . Mais la bibliothèque reste le premier équipement culturel intergénérationnel (et souvent le seul dans les petites communes), c'est aussi celui qui coûte le moins cher par rapport au nombre d'inscrits.
Voilà, j'espère avoir réussi à en convaincre certains !
Merci à Daniel Le Goff pour son article "La gratuité, ça paye" ( BBF n°3 de 2012), à Pascal Wagner sur Agorabib "Gratuité des inscriptions" , à Jean-Loup Lerebours pour "Quelques résultats de l'influence des politiques tarifaires sur le fonctionnement des services municipaux de lecture publique" (BBF n° 184-185), aux témoignages des directeurs de bibliothèques de Bordeaux, Grenoble, Montpellier, Limoges....
Valérie
Commentaires
J'y retrouve les arguments utilisés ici pour justifier la gratuité de notre médiathèque, le fait que c'est acte politique fort et un accès à tous sans discrimination à la culture !
Amicalement
Christelle pour fontcouverte
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