Le roman d’horreur jeunesse est de retour !
En roman jeunesse, les genres se bousculent. Les romans animaliers fascinent les enfants tandis que le fantastique attire les ados. Mais depuis toujours, les lectures qui font peur remportent un vif succès chez les jeunes de tous âges.
Dernièrement, après un passage à vide, les éditeurs ont réellement pris en compte ce besoin : les séries frissonnantes pour les enfants et les romans d’horreur pour les plus grands prennent désormais de la place dans les rayons des librairies et bibliothèques. Entrez dans ce genre sans peur pour devenir meilleur médiateur mouah ah ah ah ah...
Houuu houuu... le développement de l’enfant passe par la peur du loup
La peur, ce ressenti corporel face à un danger, est une émotion indispensable à la survie de l’individu et de l’espèce. Elle fait partie du développement de l’enfant. Ses variations témoignent du développement de l’imaginaire (peur du loup, des fantômes) et de sa compréhension du monde (mort ou maladie). La peur, qu’elle soit innée ou acquise suite à une mauvaise expérience, est un passage obligé très utile.
D’après Mandy Rossignol, professeure en psychopathologie cognitive, éprouver certaines peurs est une nécessité pour se construire. Elles apparaissent à des moments bien précis au cours du développement de l’enfant. Le bébé redoute les visages non familiers mais apprend peu à peu à affronter sa crainte des inconnus. Suit la peur de la séparation lors de la mise au lit par exemple ou l’arrivée à l’école le matin. C'est encore l’apprivoisement de la situation qui aidera l’enfant à vivre sans la présence constante de ses parents.
Jusqu'à 8 ans, en réponse au développement de son imagination, la crainte des gros animaux, des loups, des créatures surnaturelles gagne l’enfant, sans oublier le noir, les endroits où ces “monstres” se cachent. Au niveau cognitif, vers 7-8 ans, s’enclenche l’apprentissage à reconnaître ses émotions et ses pensées, puis à s’en distancier. Mais c'est à la même époque que la réalité sur le monde et de la vie rattrape l’enfant, naissent alors les peurs rationnelles comme la guerre, l’accident, la mort de proches. Au niveau comportemental, il sera encouragé à affronter ce qu’il redoute.
Les peurs sociales apparaissent à l’adolescence. Vers 12-13 ans, le jeune s’angoisse d’être ridicule, différent des autres. Il nourrit des inquiétudes à propos de son physique, des relations amicales et amoureuses, de son intégration sociale et de son avenir. Mais, encore une fois, l’émergence successive de différentes catégories de peurs n’est que le reflet de processus développementaux. Il n’y a donc pas lieu de s’en inquiéter.
En parallèle, d’après Christophe André, psychiatre, et Annie Rolland, psychologue clinicienne, l’enfant aime se faire peur tant que cette émotion forte reste maîtrisée soit par le jeu, le livre ou le film. En fait, les enfants n’aiment pas avoir peur mais ils aiment les histoires qui font frissonner et les sensations que cela procure parce que, mine de rien, ils s’exercent à les contrôler.
Bouh ! Des frissons pour les bouts d’choux.
Le roman d’horreur, considéré comme un sous-genre du fantastique en France, déroule un récit qui exploite les peurs du lecteur afin qu’il ressente angoisse et effroi. Ces émotions se déclenchent lors de la description de lieux étranges, d’ambiance glaçante voire surnaturelle, ou encore la mise en scène de monstres menaçants.
Roald Dahl, après avoir lu des centaines d’histoires de fantômes avant de publier un recueil, s’est aperçu que les meilleures provenaient de plumes féminines comme Rosemary Timberley, Mrs Oliphant ou encore Cynthia Asquith. Il lui semblait évident que les femmes étaient plus sensibles que les hommes dans ce genre si particulier et délicat.
Depuis que le roman d’horreur est redevenu à la mode, même les pitchouns ont droit à des romans première lecture qui font peur. Dans ce cas, le récit fait frissonner en utilisant essentiellement des créatures inquiétantes (fantôme, vampire, loup-garou, zombie), il reste dans le cadre du quotidien avec des lieux familiers. On se souvient de nos chers Bizardos de Gallimard jeunesse. Aujourd’hui c’est Nathan qui réussit l’exercice avec “Frissons au CP”, série pour trembler de rire dès 6 ans. On y retrouve par exemple "Le squelette des toilettes" et "Le fantôme en maillot de bain" mais “heureusement, les CP n'ont peur de rien. Grâce à leur amitié, à leur courage et à leur humour, ils sont prêts à les affronter !”
Ces CP sont tellement formidables que l’on s’y attache volontiers. Et pour faire durer le plaisir, Nathan met à disposition des fiches pédagogiques sur son site ainsi que des fiches d’activités. Par ICI la fiche pédagogique de “Le fantôme en maillot de bain”, et par LÀ sa fiche d’activités.
Pour les plus jeunes lecteurs, la présence de monstres ou personnages surnaturels ne sont pas forcément synonyme d’angoisse. Ce sont des héros comme les animaux dans les romans anthropomorphiques. Ils vivent des épreuves de la vie d’où une identification de l’enfant encore possible.
Parfois les rôles sont inversés et la créature se trouve en position de faiblesse dans une confrontation. Le conte détourné exploite souvent cette situation. Chez Actes Sud junior, collection Lecture solo, c’est dans “La Fantôme du potager”, de Géraldine Bobinet et Walter Glassof, que le spectre Fatou est en difficulté. Son quotidien est bouleversé quand un baron machiavélique et sa femme horripilante prennent possession du manoir où elle vit. Si Fatou est prête à les accueillir, eux veulent la voir partir. Bientôt, le couple malfaisant s'en prend à ce qu'elle a de plus précieux, le potager qu’elle dorlote avec amour. - A partir de 6 ans.
Grrrr! De la terreur pour les plus grrrrands
Les terreurs enfantines servaient surtout de base aux contes. Mais l’histoire récente de la littérature de jeunesse a vu émerger un phénomène éditorial sans précédent. "Chair de poule", à la fois série et collection dont tous les titres sont écrits par Robert Lawrence Stine, a fait basculer la littérature de jeunesse dans le morbide, loin du politiquement correct des séries à succès des années 90.
Edités chez Bayard jeunesse dès 1996, ces titres restent dans les meilleures ventes, même après l’arrivée d’Harry Potter, ce qui a engendré de nombreuses imitations et par conséquent la création d’un style en littérature de jeunesse, le goosebump.
D'après Bayard, “le lecteur pénètre dans un univers étrange où le mystère et l’angoisse lui donnent rendez-vous pour le faire frissonner de peur... et de plaisir !”. La critique, peu convaincue, bien au contraire, n’épargne pas la série : peu de chance de prendre du plaisir en lisant ces romans aux couvertures monstrueuses. En parallèle, les ventes explosent (plusieurs millions d’exemplaires). En fait, l’enfant comprend instinctivement ce qui va lui être bénéfique, mentalement ou moralement, mieux que les critiques littéraires !
Le psychanalyste américain Bruno Bettelheim, qui a consacré son travail aux psychoses de l’enfant, donnait aux contes de fées une fonction d’apprivoisement des peurs. Le Dr J. Constant pense que “Chair de poule” remplit cette même fonction chez l’enfant “grâce au contexte romanesque, il affronte ses peurs, et les apprivoise par habituation”.
Dans ses romans, R.L. Stine mélange peur et énigme ce qui fascine les jeunes lecteurs. Il se sert de situations et personnages familiers pour faire surgir l’inquiétant, le fantastique, qui illustrent des angoisses inconscientes. En éliminant les éléments d'écriture classique, il facilite la lecture : évoquer plutôt que décrire. Les chapitres très courts, la présentation aérée, les descriptions réduites et la police plutôt grosse rendent ces romans d’horreur accessibles aux enfants, séduisent voire rendent accrocs les pré-ados, et attirent les ados faibles lecteurs. Bingo !
Malgré les critiques dédaigneuses, les premiers lecteurs de "Chair de poule" présentent et défendent la série, qui conquit rapidement nombre de non lecteurs. La curiosité de ces derniers a sans doute été éveillée, leur imagination a pris l’habitude de travailler. Il est donc fort probable que ces enfants poursuivent leurs lectures, leur quête de la culture.
Les enfants de ces premiers lecteurs ont aujourd’hui à leur disposition non seulement les rééditions de ces romans d’épouvante précurseurs mais ils ont le privilège de pouvoir lire la série jumelle "Monsterland", les romans des films, et donc regarder les adaptations cinématographiques mais aussi les épisodes tirés de la série papier. Netflix entre dans la danse avec l’acquisition récente de la trilogie “Fear street”, adaptation des trois tomes de R.L. Stine en largement plus gore.
En parallèle, de nombreuses séries adressées aux 8-11 ans ont fait leur apparition. Parmi elles, “Hôtel des frissons” de Vincent Villeminot chez Nathan, "Trouille Académie" de Bertrand Puard chez Poulpe Fictions, la trilogie “Zombies zarbis” de Marie Pavlenko chez Flammarion-Jeunesse, la collection “Hanté” chez Casterman qui garantit des romans "pires que vos pires cauchemars" pour les enfants de 10 ans "qui n'ont pas peur d'avoir peur". D’ailleurs ceux-ci ont été heureux de voir “Les élèves de l'ombre” d'Anaïs Vachez de la collection “Hanté” recevoir le Prix jeunesse Quais du Polar-Ville de Lyon 2021 et la mention Francophonie.
Aaaaaah !! Un effroi assumé par ses choix.
L'angoisse imaginaire, déclenchée par un conflit intérieur entre une pulsion et son refoulement, est différente de l’angoisse devant un danger réel. La peur est plus élevée devant une image de film ou jeu vidéo qu’au cours d’une lecture car elle réussit à intensifier l’angoisse latente. Dans un livre, l’élaboration imaginaire du lecteur au travers de personnages, d’une atmosphère ou d’une intrigue, le sort de sa réalité le laissant libre de s’identifier, de maîtriser l’aspect terrifiant.
Si une énigme est présente dans la narration inquiétante, une réponse active par le jeu se met en place chez le lecteur. Cette pulsion de chercher transforme l’énigme, synonyme au départ de danger à éviter, en une promesse de plaisir même quand il y a des risques à courir. Certaines collections de livres-jeux engagent le lecteur à assumer les situations de peur vers lesquelles il a choisi de s’engouffrer avec plaisir.
Les Editions 404 proposent deux collections de livres-jeux : Escape book et #FollowMe. Dans les romans Escape book, le jeune lecteur doit résoudre des énigmes pour s'échapper en s'armant de logique, d'ingéniosité et d'un sens de l'observation en éveil. "La Maison-fantôme de Mme Hideuse" d’Arthur Ténor est, par exemple, accessible à partir de 8 ans. Quant aux histoires de la collection #FollowMe, elles sont interactives avec plusieurs fins possibles à choisir par l’adolescent. Andy Rowski, l’autrice principale, a un talent fou pour l’effroi : son roman “Death escape : fais tes choix, tu es filmé !” est même déconseillé aux moins de 13 ans.
Les éditions Rageot débutent avec la collection Unlock ! : les Escape Geeks. Pour l’instant, trois titres écrits par Fabien Clavel sont disponibles pour les enfants à partir de 10 ans. Le lecteur incarne Alex. Avec ses amis, il a fondé les Escape Geeks. Dans “Echappe-toi du cimetière !”, ils enquêtent sur un énigmatique Cercle des fées qui les a convoqués au cimetière du Père-Lachaise pour une mise à l'épreuve. Le but annoncé est de vérifier qu'ils sont dignes de lutter contre Odal, un groupe ésotérique fanatique qui veut s'accaparer les pouvoirs de Merlin l'enchanteur. Dans la même collection : “Echappe-toi des catacombes !” et “Echappe-toi du musée !”
Hachette romans a sorti il y a quelques années la collection Ready : la seule issue c'est toi ! destinée aux adolescents. Ces livres, écrits par Madeleine Féret-Fleury et Marushka Hullot-Guiot, contiennent une histoire à construire soi-même avec différentes issues possibles. Dans chaque titre, le lecteur suit un personnage différent dans sa confrontation aux zombies et extraterrestres (Gaïa, Nora, Elijah). Le résumé du titre sur Elijah fout vraiment la pression : “Vendredi soir. La nuit tombe sur Villemort. Tu sors juste du cinéma : Le Réveil des zombies n'est pas le film du siècle, mais c'était très sympa. Le chemin du retour, en revanche, l'est beaucoup moins. Cheveux blancs, peaux pâles et yeux jaunes, quelques personnes te regardent bizarrement. Pire : elles semblent se diriger vers toi. Et là, brusquement, elles accélèrent. Il faut te décider : demi-tour vers le cinéma, ou sprint jusque chez toi ? Feras-tu les bons choix ? N'oublie pas : si tu veux t'en sortir, la seule issue, c'est toi. Ready ?”
Pour finir cette énumération non exhaustive, le vétéran, Un livre dont vous êtes le héros chez Gallimard-Jeunesse, qui sait depuis toujours mêler la peur au jeu chez les enfants à partir de 10 ans. En 2018, Ian Livingstone raconte dans “L'Anneau des serpents de feu” l’histoire de morts-vivants qui sèment la terreur à travers l'Allansia. Le lecteur doit guider le héros pour l'aider à récupérer l'anneau des serpents de feu avant qu'il ne tombe entre les mains de Zanbar Bone, son ennemi juré.
Si ces ouvrages ont donné le goût de la lecture par le jeu à vos jeunes usagers, il est possible d’en réserver d’avantage grâce à la sélection en ligne : Sélection Livres dont vous êtes le héros
Ark ! Des romans ados bien dark.
Les ados ont repris le chemin de la lecture de romans d’horreur depuis le succès de certains films et de séries comme "Walking dead". Avec malice, les auteurs connus et reconnus de littérature jeunesse se prêtent eux aussi à l’exercice de transmettre la peur. Pas besoin de bande son, la description de personnages flippés à cause d’une persécution extérieure puissante et obsédante suffit pour foutre la trouille. Pour ne pas louper cette vague, les éditeurs travaillent le sujet, les titres, et surtout les illustrations de couverture pour plonger le lecteur direct dans l’ambiance.
Les éditions Sarbacane ont choisi, en 2020, de rassembler des classiques du genre dans le recueil en forme d’album “Et parfois ils reviennent... : histoires de fantômes”. Un recueil illustré par le célèbre Maurizio A.C. Quarello de huit nouvelles et contes fantastiques classiques, allant du registre de l'humour à l'horreur, parmi lesquels "La morte" de Guy de Maupassant, "Le fantôme de Canterville" d'Oscar Wilde, "L'étui merveilleux" de Tcheng Ki-Tong et "Le roi Peste" d'Edgar Allan Poe.
L'horreur ne manque pas au catalogue de Bayard jeunesse où l’on croise des auteurs de renom : Joseph Delaney et ses 16 tomes de “L’Epouvanteur” ainsi que ses nouvelles séries “Aberrations” et “Frère Wulf” (ouvrages qui comportent des scènes susceptibles de heurter la sensibilité de trop jeunes lecteurs) ; Evelyne Brisou-Pellen et ses deux saisons du “Manoir” (12 tomes). En fait, cet éditeur n’a jamais perdu le fil en rééditant régulièrement les titres de “Chair de poule” jusqu’à la création d’une série jumelle, toujours de R.L. Stine, “Monsterland”, qui démarre très fort.
Récemment, Stephen King, maître incontesté du roman d’horreur moderne, a fait son apparition en jeunesse grâce à Albin Michel et sa collection Wiz. Collection qui a révélé “Celle qui marche la nuit”, excellente intrigue de Delphine Bertholon qui écrit peu pour les jeunes mais sait manier le fantôme pour leur plaire.
Actes Sud junior détient dans son répertoire le fameux Joel A. Sutherland, auteur canadien de 40 ans, qui est devenu spécialiste de l’angoisse avec ses romans pour pré-ados “La maison abandonnée”, “Kill screen” et “La maison d’à côté”.
Arthur Ténor, fidèle du genre, a été choisi par les éditions Scrineo pour lancer leur collection “Roman d’horreur”. Peu de publications mais une régularité et surtout des auteurs compétents, comme Johan Heliot, Nadia Coste et Fabien Clavel, qui assurent une qualité certaine de ces romans effrayants accessibles à partir de 12 ans.
Cette collection, comme d’autres, met notamment en scène des zombies, valeur sûre pour terrifier le lecteur ! Pour terminer, voici quelques ouvrages pour les ados “amoureux” des morts vivants : “Au secours ! Les profs sont des zombies !” / Johan Heliot.- Scrineo, 2015.- (Roman d'horreur) ; “Les proies” / Amélie Sarn.- Milan jeunesse, 2012.- (Macadam) ; “Les contaminés” / Yves-Marie Clément.- Scrineo, 2014.
Sans oublier le terrifiant diptyque “In the after” et “In the end” de Demitria Lunetta.- Lumen, 2014. Des créatures sans pitié dévorent les humains et personne ne sait ni d'où ils viennent, ni comment les arrêter. Amy parvient à leur échapper grâce à la grille électrifiée de sa maison. Elle réussit à sauver une petite fille, Baby. Après trois ans de survie en autarcie, d'autres survivants se manifestent.
En conclusion, même si le roman d’horreur semble être un sous-genre, il peut faire du bien à certains, petit ou grand, à un moment de leur vie. Les frissons en littérature de jeunesse aident les lecteurs débutants à grandir, les plus récalcitrants à plonger dans les livres, les ados à se sentir vivants.
Peggy
Voici un aperçu des romans d'horreur à la MD. Par ICI la sélection complète "Frisson en roman jeunesse". N'hésitez pas à cliquer sur afin d'être alerté à l'arrivée de nouveautés qui font trembler.