93 ans cette année, Jodo a eu le temps d’être multiple. Autant vous dire tout de suite qu’il sera bien difficile de faire le tour de son œuvre ou de sa vie. Sa vie n’est-elle d’ailleurs pas à elle seule une œuvre ?
Plus qu’un auteur, illustrateur, cinéaste, poète, Alejandro Jodorowsky est un personnage que le plus talentueux des génies n’aurait pu imaginer. Le personnage de sa propre fiction. Une fiction qui, j’en suis persuadée, sera intemporelle et surtout transmise. 
La liste de ses activités sur Wikipedia donne le vertige : écrivain, réalisateur, dramaturge, scénariste, monteur, écrivain de science-fiction, philosophe, poète, metteur en scène, mime, acteur, compositeur, scénariste de bande dessinée, artiste, marionnettiste, psychologue, sculpteur, essayiste, peintre, dessinateur, réalisateur, producteur de cinéma, pantomime, bande dessinée, psychothérapie. Il a largement matière à écrire, à partager, à découvrir et pourtant cela fait des mois que je réfléchis à la manière d’aborder sa création. Je suis restée longtemps devant une page blanche tellement la tâche m’a paru ardue et puis, j’ai décidé de suivre son chemin.
Un vagabondage, une promenade poétique au cœur de son art, comme Jodorowsky se promène dans la ville, le regard toujours étonné (secret de sa longévité ?) en évoquant simplement les souvenirs que j’ai de ses travaux, les moments forts et bouleversants qui ont changé ma façon de voir la mienne, de vie. Des petites percées au sein de ses créations qui je l’espère vous donneront envie de découvrir un peu plus, beaucoup plus, jusqu’à la passion et la folie, son travail !
Je ne vais donc pas vous réciter sa biographie, mais vous dirai simplement qu’elle joue un rôle primordial dans son travail. Né en 1929 à Tocopilla au Chili, Alejandro Jodorowsky est un artiste franco-chilien, le genre d’artiste qui sait lire à 4 ans et aura fait le tour de sa bibliothèque municipale à 9 ans ! Mieux que la célèbre encyclopédie en ligne, je vous conseille de voir deux de ses films pour découvrir sa famille, sa jeunesse, ses aspirations d’adolescent, ses délires de jeune adulte (et bien au-delà !) : La danza de la realidad (2013) et Poesía sin fin (2016). Bien plus que des biopics, ces 2 films majeurs sont emprunts de poésie, de surréalisme, d’images fortes et symboliques. Il rend visible l’inconscient, il matérialise ses peurs d’enfant pour s’en défaire, il rend palpable l’insaisissable. Mais il ne parle pas seulement de lui : ses propos touchent, bouleversent, remuent quelque chose à l’intérieur du cœur et de la tête.
Il fait partie de ces auteurs, cinéastes, qui se lisent, se relisent, se regardent et se revoient. A chaque lecture ou visionnage, quelque chose de nouveau nous parvient, quelque chose de nouveau se niche et fera son bout de chemin avec nous. Tenter d’aborder le “Jodoverse” c’est oser lâcher prise, se laisser guider, plonger dans l’inconnu, comme le philosophe qui se questionne sans cesse, comme le patient qui entre en psychanalyse, avec Alejandro comme guide.
Le corps présent au monde, le corps comme outil de pensée, le corps comme véhicule artistique. Jodo travaillera aux côtés du mime Marceau à Paris dans les années 50 après avoir quitté le Chili, il jouera avec le corps au théâtre, avec les marionnettes également. Dans Psychomagie, des décennies plus tard, le corps sera encore au cœur de sa pratique : pour revivre et dompter des traumatismes du passé, comme épreuve psychanalytique, cathartique, comme révolution intérieure. Le sous-titre du film le dit bien, la psychomagie est “un art pour guérir”. Comme un nouveau courant de pensée, un courant artistique bien à lui, Jodorowsky transmet sa vision de la vie à travers la psychomagie, il accompagne, il guide sans jamais se proclamer ni mentor ni gourou. Il laisse les gens qu’il accompagne vivre une expérience hors du commun, fort de son parcours personnel, de sa vivacité d’esprit, de sa curiosité sans limite.
L’imaginaire au bout du crayon
Dessinateur de BD, il n’a pas la virtuosité de Moebius avec qui il travaillera comme scénariste sur l’Incal ; chef d’œuvre de la bande-dessinée qu’il n’est pas forcément nécessaire de présenter, mais notez qu’il sera adapté au cinéma par le réalisateur Taika Waititi :
Je vous invite tout de même à jeter un œil à ses dessins, regroupés dans le volume “Fables paniques” (malheureusement indisponible à la MD17) : Les incroyables « Fables paniques » d’Alejandro Jodorowsky - ActuaBD .
Pour toutes les BD sur lesquelles il a travaillé et disponibles à la MD17, c'est ici :
Pour le regardeur non avisé, le lecteur non éduqué, son travail peut paraître insaisissable, parfois “foutraque”, parfois complètement dingue ! Une petite plongée dans l’histoire de l’art éclairera sans aucun doute l’esprit du passant. Toutes ses œuvres sont teintées de surréalisme (un art révolutionnaire) et de dadaïsme (un art pour résister). Le mouvement “Panique”, qu’il crée avec Topor et Arrabal, en découlera et sera une de ses sources d’inspiration, comme une graine plantée dans chacune de ses créations, films ou BD.
Ci-dessous une sélection qui vous fera découvrir plus en profondeur le dadaïsme, le surréalisme et découvrir des auteurs du mouvement Panique :
Une œuvre inachevée, Dune
Des graines, il en a planté un sacré paquet. Nombre d’entre elles se trouvent dans le storyboard de sa version de Dune. Roman de science-fiction de Frank Herbert publié en 1965, et déjà adapté au cinéma par David Lynch en 1984, Jodorowsky tenta de s'y atteler des décennies plus tard à son tour. Son storyboard a nourri un imaginaire collectif, ce film qui n’a jamais vu le jour a, de manière presque tentaculaire, marqué le cinéma, l’illustration et la musique. Les artistes qu’il a regroupé autour du projet se sont nourris et ont développé des idées qui ont germé à partir du storyboard et du travail de l'équipe de film. Ces idées se sont affranchies de Dune pour vivre leurs vies propres, pour s’épanouir malgré l’avortement du film faute de financement. Découvrez toute l’histoire d'un incroyable film qui n'existe pas dans le documentaire "Jodorowsky’Dune" réalisé par Frank Pavich :
J’en profite pour une petite parenthèse mais vous ne l’avez certainement pas manqué : Denis Villeneuve a depuis sorti sa version de Dune, et c’est une grande réussite (en toute subjectivité) !
Le Fossoyeur de films parle très bien de ce documentaire :
Pour terminer sur le cinéma de Jodo, une petite leçon de cinéma :
“La mort que je fuis, court sans se presser à mes côtés.”
En relisant cette citation, que j’ai griffonné dans un carnet en regardant ses films, je ne peux qu’espérer qu’il la fuit encore un peu et ne peux m’empêcher de penser à la mort prochaine, la sienne, la nôtre. Je suis heureuse d’avoir écrit ces mots avant qu'ils aient des allures d’hommage. De toutes façons, Jodorowsky est éternel !
Je vous laisserai avec les mots d’une autre de ses créations, les mots de l’un de ses enfants, Adan Jodorowsky. Parce qu’en plus d’être talentueux, ses descendants le sont aussi (elle/ils sont acteurs, chanteurs, auteurs, musiciens, comédiens, metteurs en scène) !
« Lettre à mon père » Adan Jodorowsky – PLAN CREATEUR (wordpress.com)
A toi qui m’as lu jusqu’au bout, suis son conseil : “vis, vis, vis !” et si tu as besoin d’aide : lis, lis, lis !
