Les mondes de l’imaginaire se déclinent aussi bien en livres, qu’en films, séries mais aussi en musique ! SF, fantastique, fantasy ont leurs thèmes, instrumentations, couleurs. Ici, la fantasy sera à l'honneur.
Dans les romans fantasy, la musique tient parfois une place très importante : personnage musicien, liens entre musique et magie, etc... Du Nom du Vent de Patrick Rothfuss au personnage de Jaskier dans Le Sorceleur de Andrzej Sapkowski, de Thomas le Rimeur d'Ellen Kushner au personnage de Luthien chez Tolkien, la musique est presque un personnage à part entière.
Mais l'inverse est-il vrai ? En effet, cet art est moins évident quand on pense aux univers transmédiatiques des genres de l'imaginaire et pourtant, un pan de la musique est tout de même fortement influencé par la fantasy. Trois pour être plus exacte.
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1. La musique référentielle
Au milieu du XXème siècle, J.R.R. Tolkien a eu une influence importante sur les milieux de la contre-culture : le Seigneur des Anneaux est en effet perçu comme une œuvre mettant en avant des valeurs anti-militaristes et écologiques. Tout naturellement, des allusions se font jour dans la musique contestataire dès la fin des années 60. D’abord chez les musiciens de folk anglais, puis, dans le rock progressif, le hard, et le metal.
On peut citer Steve Peregrin Took, musicien qui prend en pseudonyme le nom d’un des Hobbits du Seigneur des Anneaux.
The Smoke en 1968 propose "The Hobbit Symphony" ; Armageddon en 1969 "Bilbo Baggins" et le groupe Ten after years, The Hobbit (1973).
La discographie de Led Zeppelin, célèbre groupe de hard, comporte aussi des références à Tolkien, notamment le titre "Ramble on" de l'album Led Zeppelin II (1969) et les titres "The Battle of Evermore" et "Misty Mountain Hop" sur l'album Led Zeppelin IV (1971).
Quant au groupe de power metal allemand Guardian, il tire son inspiration du Silmarillion dans l'album "Nightfall in Middle-Earth" allant jusqu'à reprendre des parties narratives directement extraites de l'oeuvre de Tolkien.
Nous pourrions également citer l'influence de Tolkien chez le groupe de rock progressif italien Ainur qui s'appuie lui aussi sur le Silmarillion pour composer 3 albums entre 2006 et 2009, les Ainur étant les entités à l'origine du monde chez Tolkien, monde qu'ils bâtissent grâce à leur musique.
Il y eut Eru, le Premier, qu'en Arda on appelle Ilùvatar ; il créa d'abord les Ainur, les Bénis, qu'il engendra de sa pensée, et ceux-là furent avec lui avant que nulle chose ne fût créée. Et il leur parla, leur proposa des thèmes musicaux, ils chantèrent devant lui et il en fut heureux. Un long temps s'écoula où ils chantèrent chacun seul, ou à quelques-uns, pendant que les autres écoutaient, car chacun ne comprenait que cette part de l'esprit d'Ilùvatar d'où lui-même était issu, et le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à venir. Incipit du Silmarillion
Le rock n'est pas le seul courant musical à proposer des références à Tolkien ; en effet, on peut citer le compositeur suédois Bo Hanssen qui consacre une oeuvre au Seigneur des Anneaux en 1970 "Sagam on Ringen" ou encore les danois du Tolkien Ensemble (fondé en 1995) qui proposent une interprétation des poèmes et chants écrits par Tolkien pour le Seigneur des Anneaux.
A noter que Bo Hansson s'est aussi penché sur Wattership Down de Richard Adams.
D'autres auteurs fantasy ont influencé la scène musicale dès les années 60.
Pink Floyd, par exemple, avec son album : Piper at the gates of down, dont le titre fait référence au livre de Kenneth Grahame : Le Vent dans les saules. Le disque est largement dominé par l'influence de Syd Barrett, dont les compositions évoquent l'espace (Astronomy Domine, Interstellar Overdrive) ou les contes de fées (Matilda Mother, The Gnome).
Plus tard, dès les années 70, les groupes de metal vont puiser l’inspiration dans un univers fantasy, allant jusqu’à apparaître sur la pochette de leur album ainsi que sur scène dans des tenues influencées par des univers cultes comme celui de Conan Le Barbare de Robert E. Howard. Suivant le concept d'art total cher à Wagner, musique, costumes, décors s'accordent dans un même registre imaginaire.
C'est le cas par exemple du groupe Manowar en 1983 avec l'album Into Glory Ride .
Le personnage de Robert E. Howard va influencer certains groupes comme Manilla Road, groupe de heavy metal américain qui va consacrer plusieurs chansons au héros cimmérien et à son univers : "Queen Of the Black Coast" (1982), "The Hour of the Dragon" (titre de la dernière nouvelle écrite par Howard).
Le trio américain "The Gates of Slumber" multiplie aussi les références au film Conan de Milius : "Riders of Doom", "Suffer no Guilt", "The Woe Of Kings".
Le groupe Hyborian Steel consacre une grande partie de son oeuvre à des références howardiennes.
Les artistes des années 1980 qui ont grandi avec les récits merveilleux dans les années 60, 70, préfèrent raconter une histoire complète, à l’échelle des grands cycles épiques de la littérature merveilleuse contemporaine. Aussi vont-ils réaliser des albums-concept (ce que faisaient déjà certains compositeurs de rock progressif), où toutes les chansons d’un disque 33 tours sont liées entre elles pour raconter une histoire.
C’est le groupe allemand Helloween qui ouvre le bal avec Keeper of the Seven Keys : Part I (1987) et Part II (1988). Ils sont rapidement suivis par les Britanniques d’Iron Maiden avec Seventh son of a seventh son (1988). Ce disque s’inspire en partie du Septième Fils (1987) d’Orson Scott Card (Les chroniques d'Alvin le faiseur), mais aussi de Moonchild (1917) de l’occultiste Aleister Crowley, deux romans de fantasy.
Les liens entre musique folk, rock progressif puis metal, découlent de courant de pensées des années 60, 70 et de l'influence des littératures de genres sur les artistes. On constate, pour le metal en particulier, un rapprochement important entre goût musicaux et goût pour l'univers de la fantasy, au-delà de la musique, comme le relève Anne Besson dans le MOOC sur la fantasy (FUN Mooc) : "Il est un genre musical qu’on associe sans doute moins spontanément aux images du merveilleux, mais qui est cependant une marque de reconnaissance très partagée parmi les amateurs du genre: je veux parler du rock «metal» ou «heavy metal» -‐ il y a un recoupement, partiel mais fort, entre les communautés de métalleux et celles de l’imaginaire'. Pour aller plus loin sur cette thématique, Elbakin.net, site spécialisé en fantasy, a lancé une série de podcasts hors série : "Fantasy & Metal". Déjà 4 épisodes à découvrir et l'épisode 0 pour bien commencer. Leur dernier podcast en date est consacré à Nightwish, groupe de metal symphonique finlandais, qui est certainement l'une des formations les plus influencées par la fantasy !
Nightwish à la MD17 :
A noter, que les musiques urbaines ne sont pas en reste. Influence cette fois du Trône de Fer de George R. R. Martin : Catch the Throne, une mixtape en deux volumes. Le premier volume est sorti numériquement le 7 mars 2014 et sur CD le 28 mars 2014 sous forme de mixage gratuit mettant en vedette divers artistes de rap pour aider à promouvoir la série HBO Game of Thrones.
Du côté des influences, on ne peut finir cette partie dans évoquer le Naheulband, groupe de musique folk fondé par John Lang alias Pen of Chaos, l'auteur originel du podcast "Le donjon de Naheulbeuk". Déjà, dans les épisodes parodiques, des chansons narraient les aventures des héros. Et le créateur aux multiples casquettes est allé plus loin en montant sur scène avec toute une formation. Au-delà de la parodie, nous pouvons saluer le travail instrumental et vocal du groupe qui sait mettre une ambiance certaine et une certaine ambiance lors des festivals.
2. Musique traditionnelle et néo-traditionnelle
La fantasy, à son origine, est venue puiser son inspiration dans un Moyen-Age où la science n'expliquait pas tout, où la magie existait dans le monde.
Il n'est pas étonnant que la recherche de cet univers soit aussi musical : ainsi, très fréquemment, un festival des mondes de l'imaginaire va proposer un concert de musique traditionnelle ou néo-traditionnelle. Des groupes qui vont faire vivre les légendes, mythes et histoires que les chants pouvaient transmettre à la manière des troubadours à l'époque médiévale.
Et parmi les styles musicaux très liés à des univers déployés dans des oeuvres imaginaires, nous pouvons citer la musique celtique qui va puiser dans les croyances et légendes des peuples celtes ainsi que dans la matière de Bretagne et son mythe arthurien ; la musique nordique, va plonger ses racines dans le monde viking. Ces groupes tentent souvent de retrouver un son proche des instruments médiévaux, de reconstruire des instruments d'époque pour retrouver une couleur sonore d'époque.
La musique folk inspirée de la fantasy a d'ailleurs son nom : la filk. Terme apparu dans les années 50, le genre s'est popularisé dans les années 70. Instruments acoustiques, thèmes des mondes imaginaires, la filk possède même sa propre récompense : les Pagasus Award.
Parmi les artistes Filk, on peut citer le français Luc Arbogast
Ou encore les espagnols du groupe Trobar la Morte :
3.Musique narrative et SFFF
Le dernier pan, c’est bien sûr une musique que l’on pourrait décrire comme “narrative”. Cet art s'inscrit dans une temporalité et grâce aux rythmes, tonalités, répétitions, instruments, motifs... la musique peut évoquer une histoire... et d’autres mondes. (Le terme "musique" vient d'ailleurs du grec "Musikê"qui désigne la poésie lyrique) .
L’aspect narratif de la musique est notamment lié à l’utilisation du leitmotiv qui va revenir pour souligner un personnage, un sentiment, une action.
Procédé que l’on voit naître au XVIIIème siècle à l’opéra. Et procédé que va déployer, par exemple, Wagner dans “L’anneau du Nibelung”, œuvre globale (musique, livret, décors...) et réécriture d’un mythe médiéval, qui pour certains préfigurent le genre de la fantasy qui va apparaître dans l'Angleterre victorienne quelques années plus tard.
Mouvement romantique, qui va trouver son inspiration dans le Moyen-Age, liens entre littérature et musique, volonté de transcrire les contes et légendes, puis, plus tard, de faire le contre-point face à une pensée scientifique omniprésente et un urbanisme croissant : tout comme en littérature fantasy, la musique illustre ces courants et influence de la fin du XVIIIème, du XIX et du XXè siècle.
La nouvelle musique symphonique, la forme moderne de l’opéra, va trouver son terreau évident dans le cinéma. Et on ne peut nier le lien indéfectible entre musique et cinéma, en particulier dans les mondes de l’imaginaire.
Là aussi, très vite, de la musique incidentale et uniquement illustrative, des compositeurs sont revenus aux sources de l’opera pour développer des thèmes liés à des personnages, la musique pouvant alors s’écouter sans l’image : elle raconte bel et bien une histoire et ne sert plus seulement à souligner le propos du film.
Voir : BO, de l’autre côté de l’image (https://md17.charente-maritime.fr/zooms/coups-de-projecteurs/5120-bo-de-l-autre-cote-de-l-image)
Exemples :
Basile Poledouris, Love Theme, Conan The Barbarian (1982) (oui, parce que derrière cette carrure impressionnante se cache un coeur gros comme ça...)
Ramin Djawadi : thème de Winterfell et de la famille Stark dans Game of Thrones
John Williams, thème de Dark Vador, Imperial March (parce qu'une histoire avec un ordre chevalier qui combat avec des épées même lumineuses, c'est de la fantasy... et comme le disait si bien Sir Terry Pratchett : "la SF, c'est de la fantasy avec des boulons").
Il ne vous reste plus qu'à fermer les yeux et vous laissez emporter vers d'autres mondes pour y vivre des aventures prodigieuses... ou à jouer à un jeu de société fantasy en famille : la musique sera alors votre meilleur guide pour vous plonger dans l'ambiance !
Belles écoutes !
Livres cités dans l'article :